Beitrag vom 07.11.2017
„„FES Paris
Sommet du G20
« La perte inavouée de l’Afrique »
Néocoloniales et paternalistes, les résolutions du G20 sur l’Afrique ne vont faire qu’aggraver les problèmes du continent
ROBERT KAPPEL ET HELMUT REISEN
Octobre 2017
A l’occasion du son dernier sommet à Hambourg, le G20 s’est engagé à soutenir l’initiative allemande « Compact with Africa » (CWA), dont l’objectif est de stimuler l’économie du continent africain, essentiellement via la mobilisation de capitaux privés pour financer de lourds investissements dans les infrastructures.
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Le CWA est une nouvelle occasion manquée dans la lutte contre la pauvreté en Afrique. D’une part, les pays africains ont été à peine associés à la préparation de l’accord, qui, dans le processus de décision finale, a été largement dominée par les ministres des Finances du G20. D’autre part, le CWA fait l’objet d’un biais idéologique : en se concentrant sur le développement de l’investissement privé et des mesures d’ajustement structurel classiques, il s’appuie sur un modèle obsolète, néocolonial et paternaliste.
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Le CWA ne tient pas compte des particularités et de la diversité des pays africains, ignore le rôle du secteur public et la complexité des rapports entre le développement des infrastructures, l’industrie et l’agriculture. Les questions d’éducation, de normes sociales et de changement climatique sont également absentes. C’est une tout autre approche qu’il s’agira d’adopter en vue des négociations sur la suite des accords de Cotonou.
Passés les quelques jours d´émeutes survenues à Hambourg,
il est temps d’analyser les résultats du sommet
du G20 du week-end dernier. Plusieurs sujets ont fait
la « une » des médias. Les discussions controversées sur
une politique climatique unifiée, le libre-échange et de
meilleures mesures pour lutter contre le terrorisme ont
éclipsé le « Pacte avec l’Afrique » (CWA) – une initiative
du G20 visant à promouvoir l’investissement privé sur
le continent africain. C’est une nouvelle occasion manquée
– la conséquence, notamment, d’un manque d’empathie
absolu des États-Unis, de l’UE, du Japon, de l’Inde
et de la Chine. Il semble que ce «club des nations riches»
ne soit que faiblement préoccupé par le sous-développement
des pays africains et leur exclusion de l’économie
mondiale.
Le CWA, qui a fait l’objet d’une concertation entre les
ministres des Finances du G20 puis, dans sa version définitive,
d’une discussion avec certains pays africains, a
été approuvé à Hambourg. Mais le titre de ce projet,
« Compact with Africa », est trompeur dans la mesure
où le continent africain était à peine impliqué dans la
préparation de l’accord. Tout d’abord, l’Afrique du Sud
est le seul membre africain du G20. Ensuite, l’Union africaine
n’a été invitée que tard dans la journée et aucun
autre pays africain n’a participé à la rédaction du pacte.
Enfin, le CWA est un document qui relie le financement
de grands projets d’infrastructures à des investissements
directs étrangers, mais aborde à peine les préoccupations
africaines.
Les ministres des Finances du G20, qui ont dominé les
débats à Hambourg, ont surtout discuté de la meilleure
manière de mobiliser du capital pour financer des grands
projets. Nous parlons de sommes énormes: pour rattraper
les infrastructures du sud-est asiatique, environ 100
milliards de dollars par an devront être investis dans les
dix à quinze prochaines années. Ce montant ne couvrirait
que les besoins essentiels : électricité, routes, liaisons
fluviales et maritimes, systèmes de transport urbains et
ruraux, ports et aéroports.
Des investissements de cette ampleur dépassant les
moyens de l’aide publique au développement, le G20
espère attirer des investisseurs privés tels que les fonds
de pension et les compagnies d’assurance. Cependant,
ils n’investiront que lorsqu’ils auront l’assurance d’un certain
taux de rendement. Cette perspective étant irréaliste
dans les pays pauvres, des subventions et des garanties
sont donc nécessaires. Les documents du CWA révèlent
que les investisseurs ont des taux d’intérêt garantis de 4
à 4,5%.
Une étude de la Friedrich-Ebert-Stiftung a analysé les
principales composantes du CWA de mai 20171. Bien
que le concept du CWA soit parfaitement cohérent et
qu’il présente des arguments simples et des messages
importants sur l’efficacité, la gestion des grands projets
et les possibilités d’endettement, les auteurs de l’étude
ne voient in fine dans le CWA qu’une nouvelle version
de la théorie du « Big Push ». Cette approche, qui fait des
investissements importants en infrastructures le moyen
par lequel l’Afrique serait en mesure de progresser, a déjà
été discutée à plusieurs reprises en Afrique. Le CWA est
simplement une réédition de mesures de stabilisation et
d’ajustement structurel classiques: les programmes tristement
connus des années 90 reviennent manifestement
à la mode.
Le CWA consiste essentiellement en une combinaison
d’instruments visant à tirer parti du capital privé et à assurer
la couverture des risques. L’idée n’est pas nouvelle.
Elle minimise la gravité des effets secondaires et des
obstacles auxquels le cofinancement privé est exposé, en
particulier dans les pays pauvres et les régions en conflit
où la pauvreté persiste et les populations sont le plus
contraintes d’émigrer.
Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale
et la Banque africaine de développement ont fourni
le plan d’action pour l’initiative « Compact ». Sans surprise,
celui-ci fait l’objet d’un biais idéologique.
Son cadre macroéconomique – la discipline budgétaire, la
privatisation et la dérégulation – est marqué du sceau du
« consensus de Washington » néolibéral que l’on pensait
pourtant appartenir au passé. Le CWA ne laisse aucune
place à des recommandations nuancées qui tiennent
compte des particularités de l’Afrique. Il ne fait pas de
distinction entre des pays extrêmement différents, à savoir
entre les économies émergentes et les économies
pauvres confrontées à des conflits, les pays qui exportent
et ceux qui importent des matières premières, les Etats
côtiers et les pays enclavés, les Etats de l’Afrique de
l’Ouest et de l’Est, ou encore les pays qui sont lourdement
endettés et ceux qui ne le sont pas.
Le CWA est fortement influencé par le modèle financier
anglo-saxon, basé sur les emprunts et les actions.
A contrario, l’Asie de l’Est et l’Europe continentale ont
financé et réussi à faire vivre leurs modèles de développement
via l’apport conjoint des bénéfices des sociétés,
des crédits d’entreprises des banques commerciales ainsi
que des impôts et des prélèvements obligatoires qui ont
permis de mener à bien des investissements dans le secteur
public.
Le rôle du secteur public dans le développement est largement
ignoré par le CWA, le salut étant censé venir
des investisseurs privés. Aucune mention n’est faite du
rôle joué par les banques nationales de développement
pour la classe moyenne, les caisses de retraite publiques
et les coopératives de crédit rurales dans la lutte contre
la pauvreté rurale.
Le CWA néglige également le lien entre le développement
des infrastructures, l’industrie et l’agriculture. On
y trouve aucun concept pour développer l’industrie,
moderniser l’agriculture et les politiques économiques
nécessaires pour le faire. Le document témoigne d’une
méconnaissance de la diversité des pays à revenu moyen
et faible, où les petites et moyennes entreprises ont des
positions de départ très différentes. Le projet « Compact »
n’explique pas non plus le niveau de développement industriel
possible dans les centres urbains et la manière
dont cette dynamique pourrait être transférée dans le
secteur agricole.
Enfin, le CWA ne traite pas de l’impact de l’éducation et
de la formation sur le développement économique, ni ne
discute des normes du travail ou de l’environnement –
des domaines où l’Allemagne a de solides compétences.
Alors que les ministres des Finances du G20 dictaient
l’ordre du jour, le gouvernement allemand a manqué
l’occasion d’intégrer dans son discours l’expérience, les
documents stratégiques, l’expertise et les concepts de
politique économique des pays africains.
L’Allemagne a également manqué l’occasion de présenter
un nouveau modèle de coopération avec l’Afrique,
en dépit des nombreuses discussions des derniers mois
entre les dirigeants africains et les ministres allemands,
les ONG, les groupes de réflexion, les syndicats, les associations
d’employeurs et les partis politiques. De même,
le «Plan Marshall pour l’Afrique» du gouvernement
allemand ne fit l’objet d’aucune concertation avec les
gouvernements africains alors qu’il proposait un certain
nombre d’initiatives visant à lutter contre la pauvreté. Le
CWA aurait dû accorder plus de place à la pauvreté et
au changement climatique afin d’apporter à l’Afrique la
perspective d’un développement durable et inclusif.
Les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 sont étonnamment
hermétiques aux conseils relatifs à la coopération
avec l’Afrique. Ils semblent s’accrocher à un modèle
obsolète, néocolonial et paternaliste – un modèle qui
risque davantage d’aggraver les problèmes que de les
résoudre. Ce n’est pas étonnant que les pays africains ne
souhaitent pas en faire partie!
L’Allemagne doit maintenant tirer un trait sur cette
séquence malheureuse et recommencer. La prochaine
occasion sera celle des négociations d’octobre 2017 sur
l’accord de Cotonou, qui a réglementé le partenariat
entre les pays africains et l’UE depuis 2000 et devrait se
terminer en 2020. Espérons que l’approche ne sera ni paternaliste,
ni brutale et qu’elle permettra la mise en place
de mesures proactives et convaincantes pour résoudre
ces problèmes commerciaux complexes. En conclusion,
on peut dire qu’il ne faut jamais confier aux ministres des
Finances le soin de conceptualiser des problèmes qui les
dépassent, au rang desquels figurent le développement,
la réduction de la pauvreté, l’industrialisation, la modernisation
agricole et l’emploi.
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Auteurs
Robert Kappel est depuis 2011 président émérite et senior research fellow au German Institute of Global and Area Studies (GIGA) à Hambourg. Il a été le président en exercice de l’Institut pendant 7 ans. Il a également enseigné aux Universités de Leipzig et de Hambourg. Il travaille sur les questions de pouvoir, de normes et de gouvernance dans les relations internationales ainsi que sur les dimensions socio-économiques de la mondialisation.
Helmut Reisen est professeur honoraire à la faculté de sciences économiques de l’Université de Bâle et chercheur associé à l’Institut allemand de politique de développement de Bonn. Expert de renommée internationale des pays émergents, du financement du développement et de la politique monétaire, il était jusqu’en 2012 directeur de recherche au centre de développement de l’OCDE. Il est co-fondateur du Emerging Markets Network (EmNet) de l’OCDE, composé d’entreprises multinationales leaders issues des pays industrialisés et émergents.