Direkt zum Inhalt
Für eine andere Entwicklungspolitik!

Beitrag vom 30.12.2023

Le Monde Diplomatie Afrique

« En Afrique, plus personne ne comprend la politique de la France »

Pour le député Bruno Fuchs, auteur avec Michèle Talbot d’un rapport parlementaire
sur l’état des relations franco-africaines, Paris doit sortir d’une vision missionnaire
et moralisatrice dépassée.

Propos recueillis par Coumba Kane et Cyril Bensimon

Comment ne pas être emporté par ce qui ressemble à une lame de fond contestatrice ? C’est l’objet du
rapport des députés Bruno Fuchs (MoDem) et Michèle Tabarot (Les Républicains, LR) sur l’état des
relations franco-africaines.

Alors que Paris a dû encaisser le départ forcé de ses soldats du Mali, du Burkina Faso et enfin du Niger,
que le discours hostile à sa politique africaine bénéficie d’un écho toujours plus large dans les
opinions et que de nouveaux concurrents viennent contester des positions que les décideurs français
pensaient établies, les deux élus préconisent plus de clarté et de cohérence dans les actes et les
discours vis-à-vis du continent.

Vous plaidez pour une « juste distance » dans les relations entre
la France et les pays africains. Qu’entendez-vous par là ?

Bruno Fuchs Il faut sortir d’une vision missionnaire et moralisatrice qui nous met à dos les Africains.
Cette approche, ancrée dans la culture française, n’a jamais fonctionné. Nous défendons un modèle
de société fondé sur la démocratie, le respect de l’Etat de droit et l’attachement aux libertés publiques,
mais nous ne sommes pas moralisateurs vis-à-vis du Qatar, de l’Arabie saoudite et de la Chine.
Pourquoi le serions-nous avec la RDC, la Guinée équatoriale ou la Côte d’Ivoire ? Nous devons être
cohérents dans notre approche du monde et tenir nos positions.

Quand on va à l’encontre de nos valeurs comme on l’a fait au Tchad [où après la mort d’Idriss Déby,
Emmanuel Macron a soutenu la solution d’une transition dirigée par le fis du défunt], il faut être
transparent et expliquer que le principe de sécurité dans la région prime sur le reste. La question se
pose aussi avec l’Egypte : préfère-t-on avoir au pouvoir un maréchal Sissi, qui n’est pas un démocrate
reconnu, ou les Frères musulmans ?

Il faut également régler ce paradoxe qui consiste à défendre une vision multipolaire du monde tout
en privilégiant, en Afrique, un mode d’action unilatérale.

La France n’est-elle pas coincée dans une polarisation des idées
entre une nostalgie de puissance coloniale et une remise en
cause frontale de la politique africaine depuis la décolonisation ?

La France vit dans une contradiction liée à la doctrine vertueuse, mais périmée, élaborée sous
François Mitterrand. Alors que, sous le général de Gaulle, Paris assurait les pays africains décolonisés
d’une protection en échange d’une loyauté lors des votes à l’ONU, depuis Mitterrand, on prétend
soutenir les régimes démocratiques en garantissant la sécurité des Etats. Le trouble vient de là, car
nous avons institué une politique à géométrie variable.

Nous sommes intransigeants vis-à-vis du président Obiang au pouvoir en Guinée équatoriale depuis
1979, mais nous avons développé des relations étroites avec le Gabon voisin qui était sur une
trajectoire similaire. Au Liban, nous appelons à lutter contre les politiciens corrompus mais on
adoube le fils Déby au Tchad. Il faut régénérer la doctrine Mitterrand car, contrairement à ce qu’on a
cru naïvement dans les années 1990, le développement économique n’a pas su" à imposer la
démocratie partout.

Depuis, chaque président français propose un embryon de doctrine. Comme l’a dit Emmanuel
Macron à Ouagadougou en 2017, la politique africaine doit devenir plus lisible car en Afrique plus
personne ne la comprend. La France est-elle en Afrique pour défendre la démocratie ? Assurer la
sécurité ? Assurer ses intérêts économiques ? Il faut clarifier notre position pour ne plus alimenter les
fantasmes d’un double agenda. Au Mali, on a entendu que la France est intervenue pour s’approprier
les mines d’or. Pourtant quand on regarde les opérateurs actifs sur le site même du ministère malien
des mines, on constate que les opérateurs sont canadiens, sud-africains, pas français.

Au Niger, la détermination de la France à ne pas reconnaître les
autorités putschistes a-t-elle été une erreur ?

Une approche fondée sur la real politik, et en appliquant une juste distance, aurait pu nous pousser à
agir autrement. Le Niger incarnait pour la France un nouveau modèle de partenariat plus équitable.
Nous avions radicalement changé notre façon d’opérer : avant d’y déployer nos soldats, un débat avait
été organisé au Parlement, contrairement à ce qui s’était fait pour l’opération « Barkhane » au Mali.
Les militaires français étaient placés sous commandement nigérien et intervenaient en appoint et à
leur demande. Nous avons été guidés par la relation de proximité tissée avec le président Bazoum.

Comment sortir de l’hyper-centralisation de la politique
africaine ?

Cela fait trente ans que la politique africaine est faite à l’Elysée. C’est dans les gênes de la
Ve République. A l’inverse, en Allemagne, le ministre de la coopération ou son représentant discute
toutes les semaines au Parlement de la politique africaine de Berlin. Il échange, débat, explique. Il faut
retrouver, en France, un équilibre entre le Parlement, la population et les décisions prises par l’Elysée
et le Quai d’Orsay.

Très peu d’élus étaient présents le 22 novembre à l’Assemblée
pour débattre de la politique africaine de la France. Comment
l’expliquez-vous ?

Il y a peu d’experts et d’appétence pour l’Afrique d’une manière générale chez les décideurs français.
Beaucoup pensent connaître ce continent, alors qu’il a changé. Nous continuons d’agir en Afrique
francophone comme il y a vingt ans. Or aujourd’hui, l’âge médian y est de 19 ans. La moitié des
Africains n’a donc jamais entendu parler de la France, autrement que de façon négative par les
réseaux sociaux.

C’est à nous de dire ce qu’on fait en Afrique. Aujourd’hui, on est dans un rôle subi. C’est l’opposition
en France qui parle du franc CFA, des visas, des choses qui ne vont pas. Avec une stratégie claire, on
reviendra dans un rôle choisi. On réglera une partie du problème de désamour des Africains et on
videra de sa substance le discours politique anti-francais.

Pensez-vous que la loi sur l’immigration va un peu plus brouiller
l’image de la France sur le continent ?

Ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas conscients en France que nos débats ont un impact
immédiat sur les diasporas et en Afrique via les réseaux sociaux. Et sur l’image qu’ils ont de la France.
Je note par ailleurs une contradiction totale dans les discours des LR et du Rassemblement national
(RN) qui veulent favoriser le rayonnement de la France en Afrique et qui réduisent les Africains à un
problème migratoire, souvent humiliant dans les propos. On ne peut pas vouloir réenchanter les
relations avec l’Afrique et avoir un discours aussi dur. Il faut contrôler les flux migratoires, mais aussi
avoir du respect.

En Afrique, on nous dit : « Pourquoi devrions-nous faire une place à la France alors que nos semblables
ne sont pas considérés malgré leur contribution à la richesse économique du pays et à sa sécurité lors
des guerres mondiales ? »

Comment faudrait-il réformer la politique des visas qui suscite
beaucoup de ressentiment ?

Il faut déjà faire preuve de considération envers les demandeurs. Ils attendent des heures dans nos
consulats, ne savent pas s’ils obtiendront leur visa. Ils ne demandent pas l’aumône, mais le droit de
venir en France, de dépenser en France, de voir leurs familles.

Il faut aussi fixer des règles claires. En Côte d’Ivoire, un entrepreneur me rapportait qu’il avait obtenu
son visa neuf fois mais que, la dixième, il lui a été refusé au motif qu’il ne fallait pas qu’il s’y habitue.

Enfin, il ne faut pas voir la question des visas uniquement d’un point de vue migratoire, mais depuis
que le ministère de l’intérieur en a la charge, c’est la vision qui prédomine. Si nous voulons contribuer
au rayonnement de la France, il faut voir les visas comme une opportunité.

Vous considérez qu’il n’existe pas de sentiment antifrancais en
Afrique. Alors comment caractérisez-vous l’hostilité actuelle ?

Nulle part les Français ne sont ciblés en Afrique. Ils ne sont pas attaqués, insultés. En revanche, il
existe une défiance vis-à-vis de la politique française. Pour nous, Français, nous sommes sortis de la
Françafrique : on ne met plus de chefs d’Etat en place, on intervient plus pendant un coup d’Etat ; en
revanche, quand on se place du côté des Africains, il y a des comportements qui les ramènent à ce
qu’on faisait avant. On a identifié dans notre rapport un certain nombre de chi#ons rouges qui
nourrissent cette défiance et tant que ceux-ci n’auront pas été supprimés, ils seront agités pour dire
que nous n’avons pas changé.

C’est d’ailleurs ce qui anime ce que nous n’avons pas vu venir, à savoir toute l’agitation des
panafricanistes qui sont le plus souvent utilisés par notre concurrent russe. Nous avons mis en place
des outils pour répondre mais pas encore à la hauteur du mal fait par les Russes.

Vous dénoncez une méconnaissance de l’Afrique au sein des
institutions diplomatiques. Comment s’explique-t-elle ?

Elle est notamment liée à la suppression du ministère de la coopération en 1999. Il y a trente ans, la
France comptait 10 000 coopérants en Afrique. Ils sont 750 aujourd’hui. Quant aux 9 000 coopérants
militaires, dont la grande partie opérait sous uniforme des armées nationales, ils menaient les
mêmes missions que leurs camarades africains. Ils vivaient, dormaient ensemble. Cette connaissance
du terrain a reculé car ils ne sont plus que 340 aujourd’hui.

Vous appelez à un retour du ministère de la coopération alors
que l’Agence française de développement (AFD) souffre, selon
vous, d’une absence de pilotage politique ?

Je ne critique pas le travail de l’AFD. L’agence a soutenu la construction de routes et d’écoles en
Afrique. La question est de savoir en quoi cela sert les intérêts de la France. L’AFD injecte 15 milliards
d’euros d’encours par an. Pour mémoire, c’était 10 milliards d’euros en 2017. Or, en Afrique, on nous
dit qu’on ne voit pas cet argent. Cette aide doit servir la stratégie française de rayonnement et
d’influence. Il faut que la France soit plus visible dans ces projets. On ne sait pas ce que la France veut
faire en Afrique. Elle doit dire ce qu’elle veut y faire. Il faut a"cher une stratégie globale, que chaque
acteur serve la stratégie française. C’est l’absence de vision et de pilotage politique par la tutelle de
l’AFD qui fait que son action n’est pas su"samment valorisée au crédit de la France.

Votre rapport aura-t-il une traduction politique ?

Nous avons reçu de nombreux retours positifs d’Afrique où beaucoup souffrent de voir une relation
qui se dégrade. Il y a tant de souffrances dans ce déchirement et même derrière ceux qui critiquent le
plus fortement la France, souvent issus de la diaspora, il y a la souffrance de ne pas être reconnus.

Le seul qui peut changer les choses, c’est Emmanuel Macron. Je sais qu’il a conscience de l’intérêt du
rapport. On verra si, lors du prochain remaniement, la question africaine aura sa place. La
dégradation du lien avec l’Afrique est telle qu’il faut que notre relation avec le continent devienne
prioritaire pour la renouer.